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"Atlas des langues en danger dans le monde" : sauvegarder les idiomes menacés

Connaissez-vous le lenca ? Sans doute pas, puisque cette langue du Salvador a été colonisée par un idiome uto-aztèque, le pipil, dont les locuteurs, soupçonnés de communisme, ont été eux-mêmes quasiment exterminés vers 1932. Et le cree ou l'ojibway ? Peut-être davantage puisque ce sont là deux des principales langues autochtones des territoires inuits. L'arabana ? Six locuteurs seulement en Australie-Méridionale, à en croire la National Indegenous Languages Survey (NILS)...

Alors que les technologies modernes permettent à l'information et au savoir de circuler rapidement et d'atteindre une population grandissante, la diversité linguistique ne cesse de diminuer. Toutefois le constat ne doit pas conduire à la résignation. Le fruit de politiques linguistiques concertées et d'une coopération internationale peut renforcer les efforts des communautés les plus fragiles pour maintenir leurs locuteurs et assurer la transmission d'idiomes très minoritaires sur une génération encore, voire davantage.

C'est ce que défend l'Unesco depuis plus de vingt ans. Et pour faire connaître l'ampleur du chantier, l'organisation internationale a eu l'initiative d'une publication aussi instructive que préoccupante. Dans la première édition de l'Atlas des langues en danger dans le monde, en 1996, la priorité était à la prise de conscience. Six cents langues seulement étaient envisagées, et les douze cartes proposées laissaient vierges de vastes superficies, faute d'informations fiables.

Constats sans appel

Aujourd'hui paraît la troisième version de l'enquête. Exemplaire, puisque presque 2 500 langues sont prises en compte, soit la quasi-totalité de celles que les linguistes estiment en péril. Et la trentaine de propositions cartographiques ne laisse plus guère de vide, tant les enquêtes diligentées ont été fécondes (une édition numérique permet, du reste, une actualisation presque permanente).

Si la géographie linguistique est une discipline neuve, qui peine à faire valoir son statut de science, le travail collectif conduit par Christopher Moseley, spécialiste des langues baltes et rédacteur en chef du bulletin d'information de la Foundation for Endangered Languages, devrait contribuer à sa reconnaissance. Forums internationaux, études de terrain, sommes menées à terme comme le compendium "Ethnologue : languages of the world", dont la publication entreprise, en 1951, s'est achevée, en 2009, tout a concouru à une soudaine progression des savoirs sur ces langues, dont on retiendra la plus simple des définitions : est en danger une langue quand elle n'est pas transmise aux jeunes générations.

La méthode exposée qui a prévalu pour cartographier une donnée aussi délicate que l'expression langagière livre des constats sans appel. Pour s'en tenir à l'espace européen, figurent parmi les langues vulnérables le féroïen ou le basque, parmi les menacées le corse, le gascon et le carélien, parmi les plus en danger le picard, le gallo, l'albanais et l'arabe chypriote, quand le cornique, langue celtique de Cornouailles, est, lui, en situation critique, dernière étape avant l'extinction. D'où le programme d'urgence adopté, en 2008, pour le sauver.

Car cette édition nouvelle décrit les expériences conduites au niveau local pour sauvegarder et revitaliser les idiomes menacés d'extinction, comme les initiatives politiques qui accompagnent parfois ces efforts.

Si l'Europe peine à réagir souvent, fort heureusement, d'autres continents, très affectés, ont localement déjà pris les choses en main. Où l'on mesure, à force d'exemples probants, l'efficacité croissante de la riposte quand elle est intelligemment menée.

Source : Le Monde

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